Les Bretons de Paris des années 1960 : de parias à élite parisienne ?

Les années 1960 sont celles de la « modernité » pour la Bretagne. Sans occulter les tensions sociales et économiques que celle-ci provoque, dans le monde agricole notamment, la région connaît un développement sans précédent. Les décentralisations industrielles de Citroën à la Janais ou bien du Joint français à Saint-Brieuc, par exemple, donnent du travail aux jeunes, souvent ruraux. L’émigration n’est alors plus l’unique horizon et devient une question d’opportunité de carrière. Une situation qui se ressent dans la communauté bretonne à Paris. Ce sont notamment les Bretonnes engagées en tant que bonnes auprès des familles bourgeoises de la capitale qui voient leur situation s’améliorer. Le rapport de force entre l’offre et la demande tourne en leur faveur. Dès lors, le discours sur cette communauté des Bretons de Paris, développé par eux-mêmes, passe de celui de « parias », à l’œuvre dès la fin du XIXe siècle, à celui de nouvelle élite parisienne ; comme nous le montre bien un reportage télévisé de l’ORTF en 19651.

Avenue Gambetta à Paris, un magasins de « meubles bretons et rustiques ». Carte postale. Collection particulière.

A cette époque, « ils sont 500 000 Bretons dans la région parisienne », « venus de Brest ou de Lorient, de Quimper ou de Morlaix, c’est à la gare Montparnasse que leur destin parisien a commencé ». Un quartier « devenu une véritable enclave bretonne dans Paris », comme en témoignent les nombreuses crêperies : Crêperie de Pont-Aven ou A la ville de Morlaix. Des jeunes Bretons qui continuent à venir chercher du travail à Paris, la voix off de l’ORTF dit d’eux qu’ils « se préparent à conquérir Paris et à marcher sur les traces de leurs aînés ». Le discours victimaire d’avant-guerre sur les Bretons cantonnés aux emplois les plus durs – terrassiers, bonnes à tout faire, ouvriers dans les industries polluantes de Saint-Denis etc. – semble désormais révolu. Désormais, en 1965, pour Pascal Pondaven, directeur de la Maison de la Bretagne et président de la Fédération des Bretons de Paris depuis 1964 :

« les Bretons de Paris vivent bien en général, car ils se regroupent autour de quartiers qui leurs sont chers, parce que leurs grands-pères sont venus à Paris […] au siècle de l’industrialisation. »

Plus encore, auprès d’une jeune fille travaillant dans une « crêperie de la rue du Montparnasse depuis six mois », la journaliste s’enthousiasme : « Vous savez qu’il y a beaucoup de Bretons qui vivent à Paris, qui ont commencé comme vous et qui sont devenus des personnages très importants ».

Ces Bretons « devenus célèbres […] appelés à remplir de hautes fonctions », on les rencontre à la Maison de la Bretagne, située au croisement du boulevard du Montparnasse et de la rue d’Odessa, à quelques mètres de la sortie de la gare. A la tête de cette figure de proue de la communauté bretonne à Paris, Pascal Pondaven, qui se qualifie de « vétéran des militants bretons depuis 1921 ». Autour de ces militants associatifs gravitent une galaxie regroupant des ingénieurs comme des hommes de lettres.

Parmi cette « élite » bretonne à Paris, on trouve notamment Pierre Marzin, le « créateur de Pleumeur-Bodou ». Mais également un haut fonctionnaire et homme politique : Max Querrien, « originaire du Goëlo […] resté fidèle à ce pays puisque maire de Paimpol ». Il reconnaît habiter Paris « par la force des choses [bien] qu’au fond ça ne soit pas désagréable ». En effet, en dehors de son mandat politique, il mène une carrière professionnelle de haut vol à la tête de la direction de l’architecture du ministère des Affaires culturelles entre 1963 et 1968 : « j’ai sur les bras les 25 000 monuments historiques de France […] alors c’est de Paris que ça se commande… ». L’écrivain Jean Guéhenno, pensionnaire de l’Académie française depuis 1962, est également un habitué de la Maison de la Bretagne. A la journaliste, il précise qu’il est « de Fougères », mais que sa famille « était originaire de Pontivy ». Il est arrivé à Paris « à vingt ans ». Et s’il concède ne « pas parler tellement » de la Bretagne dans ses livres, « chaque fois que j’en parle, c’est toujours le même plaisir parce que c’est l’atmosphère de ma pensée ». Paul Le Flem, « compositeur de musique », reconnaît que « le folklore breton a déterminé sa vocation ».

L'école de puériculture du boulevard Brune, à Paris, dans le XIVe arrondissement. Carte postale. Collection particulière.

A l’issue de ce reportage, il ne faudrait pas se méprendre et voir l’histoire de la communauté bretonne à Paris de façon binaire : des parias jusqu’à la moitié du XXe siècle, une communauté intégrée à l’élite parisienne ensuite. En effet, dès la fin du XIXe siècle, certains Bretons émigrés à Paris sont clairement des notables. Pensons notamment au docteur Le Fur, fondateur du Breton de Paris. De même, la masse des jeunes Bretons qui viennent à Paris débute par des « petits boulots », comme le service dans les crêperies. Pour autant, une ascension sociale semble désormais permise. En outre, les nouveaux notables de la communauté bretonne à Paris jouent désormais la carte d’un réseau soudé autour d’un discours d’attachement à leurs racines.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA. « Les Bretons de Paris », Journal de Paris, ONRTF, 23 février 1965, en ligne.